Jyvais sur le Web

29.8.08

lu sur L'Envol (août 2008)

POESIE ET ENGAGEMENT.

Qu’en est-il du rapport du poète avec les problèmes contemporains ?

Le poète peut-il se permettre encore de rester dans sa « tour d’ivoire », dans sa « bulle » ?

Dans le Tiers-Monde (en particulier, je pense à L’Amérique latine, mais aussi au monde arabe, que ce soit du Machrek ou du Maghreb, et à l’Afrique noire), poésie, littérature riment souvent, encore, avec engagement.

La poésie, dit-on fréquemment, est une affaire de CŒUR, d’humanisme. Elle a , en tout cas, partie liée avec la sensibilité, l’empathie.

Cependant, l’Occident enferme la poésie dans des « lieux d’élite » de plus en plus coupés du réel et de toutes les agonies humaines, dérangeantes. Dans des chapelles aseptisées, sur lesquelles la société est sensée ne pas avoir prise. Dans des sortes de « limbes » qui seraient le domaine propre – et intouchable - de la Poésie, hyper idéalisée (comme l’étaient les Idées de la caverne de Platon).

Depuis le surréalisme et l’après-guerre, la poésie européenne semble percevoir l’engagement comme une sorte de faiblesse, de détournement malvenu de l’idéal poétique. Est-ce l’effet d’une longue période de paix continentale et civile à l’échelle de chaque pays, de prospérité vouée à l’embourgeoisement des contrées, au raz-de-marée des classes moyennes repues ?

Le poète, dans le sillage de Rimbaud, ou d’Arthaud, clame souvent à qui veut l’entendre qu’il est, par excellence, un anarchiste, un révolté, un marginal, et une homme libre, donc un « pousseur de coups de gueule ». Les exemples abondent : retenons, en particulier, Jacques Simonomis. Pour Jacques Simonomis, la « marginalité » n’était pas que pause. Elle résultait d’une sincérité quasi « tripale » d’écorché vif.

Mais, pour un Simonomis à l’œil aiguisé, combien de poètes dont le confort de vie occidental, le ronron ont émoussé les réflexes ?

Depuis la chute du Mur de Berlin, l’on ne croit plus, en Occident, à l’engagement. Le « monde libre et démocratique », dans un accès d’autosatisfaction, s’est persuadé qu’il n’y a de salut qu’en le capitalisme.. Que le Tiers-Monde demeuré incompréhensible, l’avait déçu.

Et puis…il y a l’engluement, l’endormissement dans un style de vie protégé.

Après tout, l’Occident, l’Europe sont une sorte d’îlot de privilèges.

Hormis les « îles à vacances », on a appris à craindre le Tiers-Monde. Indifférence de l’individualisme exacerbé, crispation xénophobe ont joué de concert…comme quoi le poète est, comme tout un chacun, l’otage de sa société.

Que faire, à présent, pour sortir le poète d’occident de son confort bourgeois ? Que faire, pour qu’il se rende compte que sa conception de la poésie est un luxe ?

Suffirait-il de le balader – plus ou moins de force – dans les cités où le spectre de la pauvreté et son logique, indispensable corollaire, la colère, rôdent ? Suffirait-il à le contraindre à tomber nez à nez avec le S.D.F ou, sans aller si loin, le « nouveau pauvre » ?

Il faut être logique : tôt ou tard, la logique somme de choisir.

Soit l’on est un bourgeois, un nanti qui, en tant que tel, cherche à fuir tout « problème », un privilégié tenu loin de tout et se réfugiant (c’est commode ! ) dans les limbes de la poésie et des incantations pacifistes aseptisées et nébuleuses (c’est non moins commode !), soit l’on est un poète, un vrai, c’est à dire un poète de cœur. Un créatif. Qui bouscule l’Ordre. Un éternel adolescent en rupture de ban, assoiffé de justice et désireux, plus que tout, de « changer le monde », d’ « envoyer un coup de pied dans la fourmilière ».

Poètes, certes, sont Pablo Neruda, Aimé Césaire, ou Umar Timol*.

Poètes…parce l’exigence de style, sans le courage, les tripes, n’est pas grand chose.

Le 30/05/2008.

Patricia Laranco, poétesse et critique littéraire franco-mauricienne.

* Umar Timol est un poète mauricien, d’ascendance indo-mauricienne, qui dit ce qu’il a à dire.

Arkangele@aol.com

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